Le grand bleu
Installée au Mans, la créatrice Yong Mei Liu produit elle-même sa teinte indigo qui lui permet de colorer naturellement ses tissus et créations.
« Lorsque j’ai entendu parlé français, j’ai tout de suite été charmé par cette langue, ses mots, sa sonorité. » A Pékin, Yong Mei Liu est alors responsable de l’iconographie à Madame Figaro. Pour l’édition chinoise, elle gère les séances photos de mode, choisit les mannequins, les photographes. Constamment en contact avec les grandes marques françaises comme Chanel, Dior ou Lanvin, c’est également à ce moment qu’elle rencontre le journaliste Pierre Aski, futur cofondateur du site Rue89 et alors en poste dans la capitale chinoise pour Libération. « Aussitôt, j’ai eu envie d’apprendre le Français.
Pendant trois mois, j’ai pris des cours à l’Alliance Française. Mais j’ai arrêté, c’était trop dur », se rappelle-t-elle. Pourtant, sa passion de la France ne tarit pas. « Grâce à Pierre, j’ai pu venir découvrir Paris et votre pays. » Mais finalement, Mei n’est pas si emballée que ça. Elle décide de repartir en Chine… Même si juste avant, signe du destin, elle rencontre, lors d’une soirée parisienne, Farid, jeune producteur français qui, un jour, deviendra son mari. De retour à Pékin, la Chinoise travaille pour Grazia puis est nommée directrice du département photos de l’édition chinoise de Psychologie Magazine. Ayant gardé contact avec Farid, le duo décide de se voir régulièrement et, en 2008, Yong Mei vient finalement le rejoindre au Mans, là où il a créé sa société de production. « Ça a été très dur. J’étais totalement perdue. Ici, tout me paraissait si petit. »
Installée au Mans, la créatrice Yong Mei Liu produit elle-même sa teinte indigo qui lui permet de colorer naturellement ses tissus et créations.
Issu de son jardin
Une maison avec un jardin, la jeune femme décide de se ressourcer en travaillant la terre et en créant un potager. « C’était la première fois de ma vie que je faisais quelque chose de mes mains », sourit-elle. Il y a quatre ans, Mei décide d’aller plus loin. « Je voyais le temps passer. J’avais envie de créer d’autres choses. »
Attirée depuis l’enfance par les matières, Mei commence à concevoir des bijoux en tissu. « Je voulais faire quelque chose de différent des autres. » Très vite, elle choisit de teinter elle-même ses créations. « Avec des plantes et des fleurs de mon jardin, j’ai créé des dizaines de couleurs naturelles, fait des centaines de tests. J’ai répertorié tous les échantillons, noté chaque fabrication. »
Jusqu’au jour où Mei “rencontre“ l’indigo. « Ce bleu a réveillé en moi quelque chose. J’ai su que c’était vers cette variation de ton que je devais me concentrer. » Une nouvelle fois, Mei opte pour fabriquer elle-même et de manière naturelle cette teinte. Avec sa fille Yoko, âgée de trois ans, elle part donc au Japon, dans une petite île proche d’Okinawa. « Là où l’on fabrique de façon ancestrale cette couleur. » Elle y reste deux semaines et revient de cette quête avec un “trésor’’ : quelques graines d’indigotier. « Je les ai plantées dans un pot… »
Aujourd’hui, Mei cultive dans son “petit’’ jardin trois des quatre variétés d’indigotiers existant dans le monde.
« Avec le climat d’ici, ce n’est pas facile…. » En France, c’est plutôt du côté d’Albi que pousse cette plante et uniquement l’Isatis Tinctoria, donnant la couleur pastel. En Sarthe, semées en mars, Mei ne ramasse les feuilles qu’une seule fois, en été. La créatrice concocte ensuite ses teintures, en poudre, tirée d’une pâte qu’elle fabrique. Dans de grandes cuves, ses feuilles d’indigotiers macèrent par oxydation à l’air. Ce long et rigoureux procédé lui permet de réaliser tentures, vêtements ou sacs japonisants, tous imprégnés de cette “septième couleur“ de l’arc-en-ciel. Membre du collectif Playmode, en quête à présent de reconnaissance, Mei est à l’image de ses créations. Envoûtante et unique..